Conte Tout Droit

Une histoire de courbes et de droites, de contraintes et de créativité.

Récit : Marie Lhuissier
Illustrations : Elis Tamula
Éditions Les Tardigrades

Conte Tout Droit

Il était une fois, Xénia. Xénia était fougueuse et fantasque. Son corps fourmillait de mouvement, et sa tête foisonnait d’idées.

Comme beaucoup d’enfants, me direz-vous...Oui mais, voilà : Xénia habitait dans un royaume gouverné par Le Roi Tout Droit. Ce roi était, comme son propre nom l’indique, tout droit. Droit comme un i. Raide comme un piquet. Il était aussi tout raide dans sa tête ; il n’aimait que ce qui était bien droit.

Alors, pour que ses sujets marchent droit et pensent droit, il avait interdit dans tout le Royaume de dessiner ou de tracer des ronds, des courbes, et autres spirales. Des lignes droites, rien que des lignes droites !
Et, celui qui oserait désobéir... serait jeté en prison jusqu’à sa mort.

Dans ce royaume où tout était rectiligne et sans surprise, Xénia n’était pas heureuse.
Elle ne pouvait pas danser, alors son corps était sans cesse agité de petits mouvements brusques et bizarres. Et, comme elle ne savait pas penser bien droit, et que les idées qui bourgeonnaient dans son cerveau n’avaient pas d’espace pour éclore et fleurir, elle était souvent nerveuse et distraite..

Parfois, elle se disait que, si elle y croyait assez fort, le Roi Tout Droit disparaîtrait, et les portes du Royaume s’ouvriraient.
Mais le Roi Tout Droit était toujours là,
et les jours se succèdaient, sans beauté et sans surprises.
Toutes les nuits, Xénia rêvait de flammes et de vagues, de rondes et de danses. Et elle se demandait :
pourquoi le monde n’est-il pas beau comme mes rêves ?

Dans ce Royaume, vivait aussi Milo.
Milo était fasciné par Xénia. Ses copains disaient qu’elle était bizarre, avec sa démarche saccadée et ses phrases qu’elle n’arrivait jamais à terminer, et ils riaient. Milo ne riait pas, mais il était d’accord : elle était bizarre. Différente.

Comme si les innombrables contraintes qui réglaient leur vie à tous n’avaient pas réussi à la faire pousser droit, mais l’avaient au contraire tordue et déformée.
Comme si elle portait en elle trop de liberté.
Xénia lui faisait penser à un oiseau.
Une fois, une seule fois, il avait vu Xénia sourire – pour rien, toute seule – et c’était comme si un millier d’oiseaux s’étaient s’envolés. Alors il avait compris qu’une autre vie était possible.

Comme il voulait la voir sourire à nouveau, il cherchait autour de lui quelque chose à lui montrer, quelque chose d’intéressant, qui éclairerait son visage... mais il ne trouvait rien : tout était désespérément rectiligne et ennuyeux.Un jour, dans un vieux livre qui traînait chez lui, Milo trouva une feuille de papier pliée.
Il la déplia et découvrit une une forme qui ne ressemblait à rien qu’il ait jamais vu auparavant : une figure toute faite de cercles savamment agencés. Bien sûr, il ne connaissait pas ce mot, mais ce que Milo avait découvert était... une rosace.

En vérifiant que personne ne l’avait vu, il mit la feuille de papier dans sa poche, sortit et
se dirigea vers le square où Xénia passait souvent ses fins d’après-midi. Il allait la revoir sourire...
Milo regarda autour de lui, et se dirigea rapidement vers Xénia.
– Xénia, viens, j’ai quelque chose à te montrer.
Xénia suivit Milo.

Alors, sans rien dire, Milo lui montra le dessin. Xénia ne sourit pas. D’un seul coup elle comprit : elle n’était pas toute seule avec ses rêves. Il avait existé d’autres personnes dont la pensée n’était pas rectiligne. Ces personnes existaient peut-être toujours... Peut-être tout le monde était comme elle, la tête pleine de courbes ?
– Qui a fait ce dessin ?
– Je n’en sais rien. C’était dans un livre de cuisine de ma grand-mère, que je n’ai pas connue.
– C’est incroyable. Il faut que tout le monde voie ça.
– Tu es folle, les gardes vont nous arrêter !
– On va reproduire ce dessin en grand, sur la grand-place. En pleine nuit ; personne ne nous verra.
– Mais... et la prison ?
Xénia fixa le garçon.
– Milo, regarde autour de toi ; la prison, on y est déjà. Je ne veux pas passer ma vie coincée entre ces lignes droites. Quand les gens verront combien c’est beau, ils se mettront tous à tracer des ronds, et tout ira mieux. Tu viens avec moi ?
– Oui, je viens avec toi.
Cette nuit-là, à l’heure la plus sombre, l’heure où tout le monde dort, les deux enfants sortirent de chez eux, craies en poche, et dessinèrent sur la grand-place
une immense rosace.

Le lendemain, la nouvelle se répandit dans la ville comme une traînée de poudre. Il y avait sur la grand-place une forme nouvelle et audacieuse, belle et fascinante !
Quelqu’un avait désobéi !
Qui allait disparaître pour toujours dans les prisons du Roi Tout Droit ?
La nouvelle arriva bien vite aux oreilles du Roi Tout Droit, qui ordonna à ses gardes de trouver sur-le-champ le coupable.
Les gardes ne mirent pas longtemps à remonter la trace de Xénia et Milo, à les arrêter et les amener devant le Roi Tout Droit.

Quand il vit Xénia et Milo, le Roi Tout Droit s’étrangla :
– Quoi ! Des enfants ! Je ne vais quand même pas enfermer des enfants à vie !
Qu’est-ce qui vous prend, petits inconscients ?
– Nous voulons rendre le monde beau, Votre Majesté.
– Le monde est beau. Tout est droit, clair, net. Le monde est beau comme une certitude.
– Nous voulons que le monde soit beau comme un rêve.
– C’est moi le roi, c’est moi qui décide ce qui est beau. Vous pouvez rendre le monde aussi beau que vous voulez, mais avec des lignes droites. Des lignes droites, vous m’entendez ? Des lignes droites ! Pour vous, qui n’êtes que des enfants imbéciles, je vais faire preuve de clémence. Vous allez faire un tour quelques semaines dans mes prisons pour réfléchir un peu. Mais je vous préviens, à votre sortie, si vous désobéissez à nouveau, jamais plus vous ne verrez la lumière du jour.
Il jeta les deux enfants en prison, fit effacer la rosace, et rappela aux habitants du royaume que quiconque désobéirait serait jeté en prison jusqu’à sa mort.
Pour Xénia, qui souffrait déjà d’enfermement à l’extérieur, l’arrivée en prison fut terrible. Milo essayait de l’aider.
– Respire, Xénia, tiens bon, on va finir par sortir.
– Et puis après ? On a perdu.
– Non, on n’abandonne pas !
– Qu’est-ce que tu veux faire, Milo ? Finir ta vie en prison ?
– Et si on essayait de faire quelque chose de beau avec des droites ? – Arrête, tu parles comme le Roi Tout Droit ! Essaie tout seul.
– J’ai envie d’essayer. Mais j’ai besoin de toi... Tu m’aides ?
Alors Xénia sortit ses craies de sa poche, Milo aussi et, ensemble, ils commencèrent à dessiner des lignes droites sur les murs de la prison.

Car, dès qu’ils sortirent de prison, Milo et Xénia préparèrent une expédition pour montrer à tout le monde ce qu’ils avaient découvert.
Quand tout fut prêt, ils sortirent dans la ville en pleine nuit, à l’heure la plus sombre, l’heure où tout le monde dort, avec, dans leurs sacs à dos, des centaines de mètres de fils colorés, et se dirigèrent vers la grand-place.

Car, dès qu’ils sortirent de prison, Milo et Xénia préparèrent une expédition pour montrer à tout le monde ce qu’ils avaient découvert.
Quand tout fut prêt, ils sortirent dans la ville en pleine nuit, à l’heure la plus sombre, l’heure où tout le monde dort, avec, dans leurs sacs à dos, des centaines de mètres de fils colorés, et se dirigèrent vers la grand-place.
Xénia alla se placer à un coin de la grand-place, et Milo à un autre coin.
Ensemble, ils fixèrent un premier brin de fil, qu’ils tendirent ainsi. Puis ils firent de même avec un deuxième brin de fil. Puis avec un troisième. Puis un quatrième. Jusqu’au quinzième brin de fil.

Alors ils grimpèrent aux lampadaires encadrant la place, pour admirer d’en haut le résultat.
– C’est une courbe parfaite, murmura Xénia.
– Et pourtant, ajouta Milo, rien d’interdit ; il n’y a que des lignes droites ici...
Puis ils se remirent à l’œuvre, et tendirent des brins de fil pendant des heures.

– Dis Milo, c’est d éjà beau, non ? On pourrait peut-être s’arrêter là ? – C’est pas ce qu’on avait prévu.
– Je sais, mais c’est long, c’est vraiment long... Imagine, les gardes reviennent... Je veux pas retourner en prison...
– Allez, courage... Ça en vaudra la peine, tu verras ! Et puis, on ne fait rien d’interdit !
Les deux enfants travaillèrent toute la nuit.Au petit matin, voici à quoi ressemblait la grand-place.

La nouvelle se propagea dans la ville encore plus vite que la fois précédente. Les gens discutaient tout bas, à tous les coins de rue.
– Avez-vous vu la grand-place ?
– C’est extraordinaire !
– Peut-être, mais ces enfants vont disparaître dans les prisons du Royaume.
– Mais pas du tout, cette œuvre est tout à fait dans les règles.
– N’importe quoi ! C’est parfaitement courbe !
– Regardez attentivement, il n’y a que des lignes droites.
– On ne peut pas faire une courbe avec seulement des lignes droites, enfin ! – Pourtant, ils l’ont fait. Et ce ne sont que des enfants.
– Ils ont contourné la règle.
– Dites... peut-être qu’on pourrait essayer, nous aussi... ?

La nouvelle se propagea dans la ville encore plus vite que la fois précédente. Les gens discutaient tout bas, à tous les coins de rue.
– Avez-vous vu la grand-place ?
– C’est extraordinaire !
– Peut-être, mais ces enfants vont disparaître dans les prisons du Royaume. – Mais pas du tout, cette œuvre est tout à fait dans les règles.
– N’importe quoi ! C’est parfaitement courbe !
– Regardez attentivement, il n’y a que des lignes droites.
– On ne peut pas faire une courbe avec seulement des lignes droites, enfin ! – Pourtant, ils l’ont fait. Et ce ne sont que des enfants.
– Ils ont contourné la règle.
– Dites... peut-être qu’on pourrait essayer, nous aussi... ?
La rumeur parvint aux oreilles du Roi Tout Droit, qui alla immédiatement inspecter cette œuvre dont tout le monde parlait.
– Ahhh, c’est complètement courbe ! Mais... Ce ne sont que des droites... mais...? Mais ?!? Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Bhhhh... Gardes !

Il envoya ses gardes vérifier exactement – mesurer !– si, oui ou non, cette œuvre affreusement courbe était faite de lignes droites uniquement. Les gardes furent formels : des lignes droites, rien que des lignes droites.
Et ils ajoutèrent qu’on voyait déjà apparaître aux quatre coins du royaume des œuvres similaires : atrocement courbes, mais constituées de lignes droites uniquement.
Le Roi Tout Droit essaya bien de reprendre les choses en main, en créant de nouvelles interdictions. Beaucoup d’interdictions. Mais c’était trop tard : les habitants avaient compris qu’aucune règle ne pourrait les empêcher de créer ; ils trouveraient toujours un moyen de la contourner, leur pensée était libre.
Le Roi Tout Droit fut chassé du royaume, et les habitants réapprirent doucement, à l’aide de Xénia, Milo et tous les enfants du royaume, à dessiner et à construire des tours en forme de lune, des ponts en forme de vague, et des maisons recouvertes de volutes et d’arabesques.
Mais, pour ne jamais oublier que la pensée peut toujours rester libre, ils gardèrent une habitude bien particulière... Tous les ans, Xénia et Milo donnaient une règle, une contrainte temporaire à laquelle devaient obéir toutes les créations. Et les habitants, pendant toute une année, inventaient des formes, des structures et des danses qui respectaient cette contrainte – mais le plus joliment possible !

Milo ne sut jamais ce qu’il préférait : les œuvres merveilleusement surprenantes qui fleurissaient chaque année dans son royaume, ou le rire de Xénia qui, chaque jour, s’envolait, comme des milliers d’oiseaux...

Activités manuelles

Voici différentes propositions d'ateliers pour créer soi-même une courbe toute faite de droites.


Tissage d'une courbe en fils tendusComme Xénia et Milo, tends des fils de couleurs de manière à obtenir une courbe !Tu auras besoin de :
– un carré de carton ou de papier très épais de ~20cm de côté
– une perforatrice et/ou une grosse aiguille
– 2m30 de fil de coton (ou de laine)
Si tu n'as pas tout ça, tu peux aussi dessiner la figure !

Près du bord du carton, trace deux lignes de même longueur, de 18cm de longueur. Le long de ces lignes, trace un petit point tous les deux centimètres et perfore la feuille sur chacun de ces points (demande à un adulte de t’aider !).

Numérote les points comme ci-dessus.Noue le fil autour du carton au point n°1 en laissant 10 cm de marge, puis relie les points dans l’ordre, en passant dessus, dessous, dessus, dessous...

Astuce pour vérifier que tu ne fais pas d’erreur : ton fil ne doit jamais toucher le bord du carton.Quand tu as fini, resserre chaque étape (comme quand tu fais tes lacets !) pour que tes lignes soient bien droites, défais le nœud initial et noue les deux extrémités au dos du carton.

Et voilà le résultat !

Tu peux jouer à changer les longueur, l’angle, l’espacement des points...


Dessiner une courbe avec des droites seulementTu peux aussi dessiner au lieu de tisser.
Commence par tracer deux segments de même longueur, qui se rejoignent en une extrémité (tu peux faire un angle droit, mais ce n'est pas obligatoire !). Puis marque des points le long de ces deux segments, régulièrement espacés. Enfin, relie le point le plus proche du coin sur un des segments, avec celui le plus éloigné sur l'autre. Puis le deuxième plus proche avec le deuxième plus éloigné, etc.

Tu peux utiliser cette technique pour créer une figures plus complexes ; amuse-toi !

Les clefs du conte

Si les histoires sont volontairement très légères en technicité et en abstraction, les Contes mathématiques contiennent beaucoup d’éléments à exploiter, de notions mathématiques à creuser et de facettes de l’activité mathématiques à découvrir.


Le Conte Tout Droit est un conte sur les enveloppes de droites.Quand on a une courbe dessinée, en chaque point on peut tracer une droite qui vient épouser la courbe – la plupart du temps elle frôle la courbe sans la couper. Toutes ces droites sont les tangentes de la courbe, et la courbe est l’enveloppe de ces droites.
Il y a une infinité de tangentes (une pour chaque point) et si on les trace toutes on reconstitue vraiment la courbe complète. Si on en trace seulement quelques unes (c’est long, de tracer une infinité de droites !), on n’a pas une vraie courbe : en regardant bien, on voit les petits segments de droites. Mais si on trace assez de droites, on n’arrive pas à les voir à l’œil nu : notre œil voit une vraie courbe !
La particularité de la courbe que tu as tracée est que tu n’as pas besoin de la connaitre ou de la dessiner pour en tracer les tangentes ! Cette courbe s’appelle un arc de parabole.


Tu peux observer des enveloppes de droites dans le monde qui t’entoure : quand les droites sont des rayons lumineux, on appelle leur enveloppe une caustique. Pour en observer une, place une tasse vide sous une lampe et regarde le fond de la tasse.

Tu peux observer des enveloppes de droites dans le monde qui t’entoure : quand les droites sont des rayons lumineux, on appelle leur enveloppe une caustique. Pour en observer une, place une tasse vide sous une lampe et regarde le fond de la tasse.

Voici un schéma de ce qui se passe : les rayons lumineux (en noir sur le schéma) rebondissent sur le bord de la tasse (en vert sur le schéma). Les rayons réfléchis (en violet sur le schéma) s'accumulent sur une courbe (en rose sur le schéma) ; c'est elle que tu vois en très lumineux dans le fond du verre.


C'est aussi un conte sur le rôle de la créativité en mathématiques.
Malgré toutes ses lois, le Roi Tout Droit n’a pas pu empêcher la créativité des enfants, parce qu’elle est d’ordre mathématique, et que les mathématiques n’admettent pas de règlement. Leurs lois ne sont pas celles d’une autorité extérieure, mais celles de la logique. À partir du moment où on a compris et intégré les règles de la logique, on peut faire ce qu'on veut !
Si cela t'étonne et que tu trouves que les mathématiques ne sont pas vraiment un lieu de créativité et de liberté, pense aux Lego. Certaines personnes ne considèrent pas que les Lego soient une activité très créative ; ces personnes utilisent sûrement les Lego en suivant des notices. D'autres personnes pensent au contraire que les Lego sont une activité très créative : ces personnes suivent les règles d'imbrication des Lego et les règles de la physique (il faut qu'une construction soit équilibrée pour ne pas tomber !), pour créer ce qu'elles veulent.
Les mathématiques, c'est pareil !!

Réalisations d'élèves

Tissages effectués par une classe de CP-CE1.


Tissage et dessin, dans une classe de CP-CE1.


Œuvres modulaires, par des classes de 6e.


Chat géométrique, créé par un.e élève de 6e